L’usage des corps

Il convient maintenant de rendre à l’esclave la signification décisive qui lui revient dans le processus anthropogénétique. L’esclave est, d’une part, un animal humain (ou un homme-animal), et de l’autre, dans la même mesure, un instrument vivant (ou un homme-instrument). L’esclave constitue donc, dans l’histoire de l’anthropogenèse, un double seuil : par lui la vie animale passe dans l’humain, de même que le vivant (l’homme) passe dans l’inorganique (dans l’instrument) et vice-versa. L’invention de l’esclavage comme institution juridique a permis la capture du vivant et de l’usage du corps dans les systèmes productifs, en bloquant temporairement le développement de l’instrument technologique ; son abolition dans la modernité a libéré la possibilité de la technique, c’est-à-dire de l’instrument vivant. Dans le même temps, dans la mesure ou son rapport avec la nature n’est plus médiatisé par un autre homme, mais par un dispositif, l’homme s’est éloigné de l’animal et de l’organique pour s’approcher de l’instrument et de l’inorganique jusqu’à presque s’identifier avec lui (l’homme-machine). Aussi – comme il avait perdu, avec l’usage des corps, la relation immédiate à sa propre animalité – l’homme moderne n’a-t-il pu s’approprier véritablement l’émancipation par rapport au travail que la machine aurait dû lui procurer. Et si l’hypothèse d’un lien constitutif entre esclavage et technique est correcte, il n’est pas étonnant que l’hypertrophie des dispositifs technologiques ait fini par produire une forme d’esclavage nouvelle et sans exemple.

Giorgio Agamben, L’Usage des corps, Homo Sacer , 2, Seuil, 2015, p. 124, 125

Image : Ile Saint-Pierre, Suisse

Lecture d’été : le bout du monde

Elle marchait, marchait, sans peur, sans faim, elle n’avait qu’une seule idée, une idée fixe, l’idée d’aller à la recherche du bout du monde, et de marcher jusqu’à ce qu’elle le trouve. Elle finirait bien par le trouver, pensait-elle. « Tout au fond, tout, tout au fond », pensait-elle.  « C’est tout à la fin », pensait-elle. L’enfant avait-elle raison de penser ainsi ? Attendez un peu. L’enfant avait-elle perdu la tête ? Attendez un peu, vous allez voir. L’enfant marcha, marcha, elle commença par s’imaginer le bout du monde comme une haute muraille, puis comme un gouffre profond, puis comme une belle prairie verte, puis comme un lac, puis comme un foulard moucheté, puis comme une grosse bouillie bien épaisse, puis tout bonnement comme de l’air pur, puis comme une plaine blanche et propre, puis comme une mer de délices dans laquelle elle pourrait tanguer à l’infini, puis comme un chemin brunâtre, puis comme rien du tout ou comme elle-même ne savait trop quoi, hélas.

Robert Walser, Le Bout du monde, Petite prose, Ed Zoé, trad.Marion Graf

Lecture d’été : Homo sacer

La naissance des camps à notre époque apparaît ainsi comme un événement qui marque d’une façon décisive l’espace politique même de la modernité. Elle se produit dès lors que le système politique de l’Etat-nation moderne, qui se fondait sur le lien fonctionnel entre une certaine localisation (le territoire) et un ordre juridique (l’Etat), articulés par la médiation de règles automatiques d’inscription de la vie (la naissance ou la nation), est soumis à une crise durable et que l’Etat décide de prendre directement en charge la vie biologique de la nation. Si la structure de l’Etat-nation est ainsi définie par trois cercles : le territoire, l’ordre juridique et la naissance, la rupture de l’ancien nomos ne se produit pas dans les deux sphères qui le constituaient selon Schmitt (la localisation, Ordung, et l’ordre Ordung), mais précisément en ce point qui marque en eux l’inscription de la vie nue (la naissance, qui devient ainsi nation). Parce que quelque chose ne peut plus fonctionner dans les mécanismes traditionnels qui réglaient cette inscription, le camp devient le nouveau régulateur caché de l’inscription de la vie dans l’ordre politique — ou plutôt, le camp est le signe de l’impossibilité où se trouve le système de fonctionner sans se transformer en une machine létale. Il est significatif que les camps apparaissent en même temps que les nouvelles lois sur la citoyenneté et sur la perte de nationalité des citoyens (non seulement les lois de Nuremberg sur la citoyenneté du Reich, mais aussi les lois sur la dénaturalisation des citoyens promulguées par presque tous les Etats européens entre 1915 et 1933). L’état d’exception, qui était essentiellement une suspension temporaire de l’ordre juridique, devient désormais une assise spatiale stable, où habite cette vie nue qui, de façon de plus en plus évidente, ne peut plus être inscrite dans l’ordre politique. L’écart croissant entre la naissance (la vie nue) et l’Etat-nation constitue le fait nouveau de la politique de notre temps et c’est cette disjonction que nous appelons camp. A un ordre juridique sans localisation (l’état d’exception, dans lequel la loi est suspendue) correspond désormais une localisation sans ordre (le camp comme espace permanent d’exception). Le système politique n’organise plus des formes de vie et des normes juridiques dans un espace déterminé, mais contient en lui une localisation disloquante qui l’excède, et à l’intérieur de laquelle toute forme de vie et toute norme peuvent virtuellement être prises. Le camp en tant que localisation disloquante est la matrice cachée de la politique où nous vivons encore et que nous devons apprendre à reconnaître, à travers toutes ses métamorphoses, dans les zones d’attente de nos aéroport comme dans certaines périphéries de nos villes. Il est ce quatrième élément qui vient s’ajouter, en la brisant, à l’ancienne trinité Etat-nation (naissance)-territoire.

Giorgio Agamben, Homo sacer, le pouvoir souverain et la vie nue, Seuil, 1997, p. 188, 189

Image : Berry, France, août 2015

Lecture d’été : Un Voyage hivernal

Le petit poste frontière de l’autre côté, enfin, et là quelques pas, des pas de recueillement, vers l’intérieur de la Bosnie. La vitre cassée du petit poste et derrière deux branches de chemin qui montaient plus ou moins raides. le garde-frontière avec son regard comme s’il allait faire feu — ou n’était-ce pas plutôt une inaccessible tristesse ? Seul un dieu aurait pu l’en débarrasser et à mes yeux, la Drina vide et sombre, c’était ce dieu qui coulait là, mais c’était un dieu sans pouvoir aucun. Nous n’avions pas à entrer dans son pays. Il nous laissa cependant quelque temps regarder, écouter sur le seuil — et nous, nous étions dépourvus de curiosité, nous n’étions rien d’autre qu’embarrassés. Cette pente de montagne bosniaque était semée de fermes à quelque distance les unes des autres, chacune flanquée de vergers et des cônes ou des pyramides des meules de foin balkaniques hautes comme des maison. Çà et là on voyait des cheminées qui fumaient (j’avais d’abord pris cela pour des décombres qui fumaient et n’en était-ce pas, en réalité ?) De la plupart des bâtiments ne sortait nulle fumée et souvent ce n’était pas simplement la cheminée qui manquait, mais le toit tout entier et les portes et les fenêtres par-dessous. Etrangement, pour ainsi dire, pas de traces d’incendie, de telle sorte que ces fermes ressemblaient à ces maisons typiques des travailleurs émigrés de la Yougoslavie dans son ensemble et cela non seulement dans un deuxième, mais aussi un troisième temps du regard. Etaient-elles en construction ou détruites ? Et si elles étaient détruites alors en partie, démontées avec soin, emportées, les éléments déposés plus loin.

Et on entendit soudain le bibliothécaire de la ville frontière : “ Dans ce marécage où jadis tous les oiseaux chantaient chacun leur propre mélodie, les fantômes européens ont bougé. Je ne sais comment l’expliquer, mais je deviens de plus en plus un Yougoslave. Et pour des gens comme nous, ce sont les temps les plus durs. Et quand j’y pense, les temps furent toujours les plus durs pour les Yougoslaves. Je ne peux être ni serbe, ni croate, ni hongrois, ni allemand, parce que je ne me sens plus nulle part chez moi. “

Et puis mon ami Žarko, le mangeur serbe de pain allemand, sur un air qui le contredisait plutôt lui-même : “ La vie en Allemagne est-elle pour moi, Serbe, meurtrière ? Le fait est que l’Allemagne s’est élevée au rang d’un beau pays riche, paradisiaque. Le monde comme machine. Les maisons aussi sont des machines. Le jappement des chiens dans les rues ressemble au grincement des machines dans les usines. Dans les grandes surfaces, c’est comme si tu achetais des vis et non pas du lait. Dans les boucheries, c’est comme si tu achetais des clous, pas du jambon. Dans les pharmacies, comme si tu achetais des marteaux et non de l’aspirine. “

Peter Handke, Un Voyage Hivernal vers le Danube, la Save, la Morava et la Drina, trad. Georges Lorfèvre, Gallimard 1996, p. 94, 95, 96

Image : Berry, France, août 2015

Lecture d’été : L’Homme qui avait deux yeux

A l’aube, on observe ici et là des pères de famille harenbergeois en survêtement tirant des véhicules tout-terrain à l’aide d’une corde dans les rues résidentielles du quartier de villas. Ils suivent, ce faisant, les recommandations d’un apôtre de la santé américain qui défend la conviction que depuis des millénaires, l’homme s’est développé dans la mauvaise direction et qu’il ruine sa santé physique et mentale. Qu’il doit retrouver ses besoins originels ; qu’il doit changer radicalement son alimentation et son emploi du temps. Un manuel de cet apôtre américain, dans lequel il présente le régime dit de l’âge de pierre proscrivant tous les produits à base de céréales et de lait, circule dans le sud-ouest de Harenberg. Dans ce manuel, on recommande également de tirer un véhicule tout-terrain aux premières heures du jour, ce qui rappelle au corps masculin l’effort accompli en traînant sa proie jusqu’à la maison après la chasse. Le poids d’un quatre-quatre, lit-on, correspond assez exactement au poids de la part du mammouth abattu qu’un chasseur de l’âge de pierre se voyait jadis attribuer.

Matthias Zschokke, L’Homme qui avait deux yeux, trad. Patricia Zurcher, Zoé, 2015, p.86, 87

Journée réussie

Pleine lune de juin. Dans les jardins ouvriers en bas au bord du canal, toute une tablée auréolée d’un nuage de fumée célèbre la canicule en grillant des saucisses.

Sur l’horizon le Mont-Blanc, arche démesurée, s’apprête à décoller pour échapper à la chaleur écrasante. Triste sort des sommets ordinaires, vaincus, affaissés.

Au centre d’un village, sous un parasol de plage, une tête dépasse à peine de la chaussée. Un homme répare une canalisation dans une tranchée.

Ce matin j’ai relu et recopié le début de l’Essai sur la journée réussie de Peter Handke : ma journée est réussie.

Peter Handke

Essai sur la journée réussie

Qui a déjà vécu une journée réussie ? La plupart vont dire que oui. Et il sera nécessaire alors de continuer à questionner. Veux-tu dire “réussie”, ou simplement “belle” ? Parles-tu d’une journée “réussie” ou d’une journée — il est vrai tout aussi rare — “sans soucis” ?  Pour toi une journée réussie est-elle déjà celle qui s’est écoulée sans problème ? Vois-tu une différence entre une journée réussie et une journée heureuse ? Est-ce pour toi autre chose de parler de telle ou telle journée réussie à l’aide du souvenir ou, immédiatement après, au soir même de ce jour, sans la transformation par le temps intermédiaire dont l’adjectif alors ne serait pas “accompli”, “surmonté” mais seulement “réussi” ? Pour toi la journée réussie est-elle fondamentalement différente d’une journée sans pesanteur, une journée de bonheur, une journée dont on serait venu à bout, une journée transfigurée par son longdurer — une seule chose suffit et le jour tout entier s’élève, transfiguré —, et peu importe quel grand jour pour la science, pour ta patrie, notre peuple, les peuples de la terre, l’humanité ? (D’ailleurs regarde —lève les yeux —, le contour de l’oiseau là-bas en haut dans l’arbre ; le verbe grec pour “lire”, dans les épîtres de Paul, traduit littéralement, serait à la lettre le “haut-regard”, le “haut-voir”, le “haut-connaître”, un mot sans injonction particulière, une invite, plutôt, un appel ; et en plus ces colibris de la jungle américaine, qui en quittant leur arbre protecteur imitent le balancement d’une feuille qui tombe pour tromper les vautours…) Oui, la journée réussie n’est pas pour moi comme toute les autres, elle veut en dire plus. La journée réussie, c’est plus. C’est plus qu’une “remarque réussie”, plus “qu’un coup réussi aux échecs” (même plus que toute une partie réussie), qu’ “une première hivernale réussie”, elle est autre chose qu’une “fuite réussie”, une “opération réussie”, une “relation réussie”, qu’ ”une affaire réussie” quelle qu’elle soit, elle est indépendante aussi du coup de pinceau ou de la phrase réussis et elle n’a même rien à voir avec “ce poème réussi en une heure après l’attente de toute une vie”. La journée réussie est incomparable. Elle est unique.

Trad. G. A. Goldschmidt, Folio, p.148, 149

Image : 30 juin 2015, Orbe, Suisse

Clair de Crime

Assis à son bureau — une plaque de verre posée sur deux tréteaux métalliques —  Laurent Margantin écrit soi-disant un roman policier. En réalité, debout de l’autre côté de la table en verre dépoli, c’est l’assassin recherché par toutes les polices du monde qui lui dicte tout. Laurent Margantin le cache et l’héberge en échange de son récit. Récit qui permettra enfin à Laurent Margantin d’écrire le roman policier sur lequel il s’échinait en vain depuis des années.

C’est ainsi Mesdemoiselles Mesdames et Messieurs que, dans le cadre de la dissémination de juin 2015 de la webassociation des auteurs sur le thème “l’auteur héberge un assassin”,  j’ai tout naturellement demandé à Laurent Margantin l’autorisation de disséminer un extrait de son roman policier inédit.

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Communiqué important

Laurent Margantin me fait savoir à l’instant qu’il ne peut malheureusement pas donner suite à ma requête : l’assassin recherché par toutes les polices du monde vient de prendre la fuite avant d’avoir achevé son récit.

Werner Kofler

Hôtel Clair de Crime

(Triptyque alpestre II)

La fiancée et Mme Zimmermann se mettent toutes deux à chercher le portier de nuit, d’abord en ouvrant et inspectant toutes les chambres non occupées. (Le ciel se couvre, un front d’orage approche. Le narrateur nous mène par les escaliers et corridors de l’hôtel ; ça sent le crime, ici, il devait arriver quelque chose. Aha, la chambre numéro 24, la porte est ouverte. Très suspect. Quelqu’un ? il y a quelqu’un ? Non, plus personne ici, personne dans la maison. Couloir, enfilade de chambres, la caméra légère pivote.) Au moment où les deux femmes passent devant la chambre de l’inquiétant étranger qui, la veille au soir, se prétendait musicien de chambre virtuose et pestait à cause de son alto perdu, elles n’en croient pas leurs yeux et, comme touchées par la foudre, reculent brusquement : La porte de la chambre est entrouverte, le lit n’est pas défait ; mais sur le sol, dans une immense flaque de sang, gît le portier de nuit, un couteau de cuisine planté dans le dos, la chemise lacérée par les coups de couteau. (Panique, horreur, désordre insensé.) Plus tard, le médecin légiste constatera sept coups de couteau dont le premier, donné avec une force énorme, dut être mortel. Le meurtrier, dont il est sûr qu’il descendait pour la première fois dans cet hôtel et qu’il ne pouvait pas connaître le portier de nuit, doit avoir accompli ce geste dément comme sous le coup d’une ivresse sanguinaire. Le déroulement du crime et son motif demeurent obscurs. — Dans l’obscurité, dans l’obscurité, obscurité délirante, pénombre infernale. Mais sept coups de couteau, et le premier déjà fatal !, je devais être dans une sacrée forme. Alors comme ça, je serais devenu un assassin, est-ce possible ? Une commission placée sous ma direction fera la lumière.

Editions Absalon, 2012, p.45, 46, trad. Bernard Banoun

Autres textes de et autour de Werner Kofler à lire sur Oeuvres Ouvertes

Le luxe

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Nous avouons franchement que lorsque nous songeons aux abîmes de misère et de souffrances qui nous entourent ; lorsque nous entendons les refrains déchirants d’ouvriers qui parcourent les rues en demandant du travail, — il nous répugne de discuter cette question : comment fera-t-on, dans une société où tout le monde aura mangé à sa faim, pour satisfaire telle personne désireuse de posséder une porcelaine de Sèvres ou un habit de velours ?

Pour toute réponse, nous sommes tentés de dire assurons le pain d’abord. Quant à la porcelaine et au velours, on verra plus tard !

Mais puisqu’il faut bien reconnaître qu’en dehors des aliments, l’homme a d’autres besoins ; et puisque la force de l’Anarchie est précisément dans ce qu’elle comprend toutes les facultés humaines et toutes les passions, et n’en ignore aucune, nous allons dire en peu de mots comment on pourrait s’arranger pour satisfaire aux besoins intellectuels et artistiques de l’homme.

En travaillant cinq ou quatre heures par jour jusqu’à l’âge de 45 à 50 ans, avons-nous dit, l’homme pourrait aisément produire tout ce qui est nécessaire pour garantir l’aisance à la société.

Mais la journée de l’homme habitué au travail et s’attelant à une machine n’est pas de cinq heures ; elle est de dix heures, trois cents jours par an, et toute sa vie. Ainsi est tuée la santé et s’émousse l’intelligence. Cependant quand on veut varier ses occupations, et surtout alterner le labeur manuel avec le travail intellectuel, on reste occupé volontiers, sans se fatiguer, dix et douze heures. C’est normal. L’homme qui aura fait quatre ou cinq heures de travail manuel nécessaire pour vivre, — aura encore devant lui cinq ou six heures qu’il cherchera à remplir selon ses goûts. Et ces cinq ou six heures par jour lui donneront pleine possibilité de se procurer, en s’associant à d’autres, tout ce qu’il voudra, en dehors du nécessaire assuré à tous.

Il se déchargera d’abord, soit dans les champs, soit, dans les usines, du travail qu’il devra à la société pour sa part de contribution à la production générale. Et il emploiera l’autre moitié de sa journée, de sa semaine, ou de son année, à la satisfaction de ses besoins artistiques ou scientifiques.

Mille sociétés naîtront, répondant à tous les goûts, et à toutes les fantaisies possibles.

Les uns, par exemple, pourront donner leurs heures de loisir à la littérature. Alors ils se formeront en groupes comprenant des écrivains, des compositeurs, des imprimeurs, des graveurs et des dessinateurs, tous poursuivant un but commun : la propagation des idées qui leurs sont chères.

Aujourd’hui, l’écrivain sait qu’il y a une bête de somme, l’ouvrier, auquel il peut confier, à raison de trois ou quatre francs par jour, l’impression de ses livres, mais ne se soucie guère de savoir ce qu’est une imprimerie. Si le compositeur est empoisonné par la poussière de plomb, et si l’enfant qui sert la machine meurt d’anémie, — n’y a-t-il pas d’autres misérables pour les remplacer ?

Mais, lorsqu’il n’y aura plus de meurt-de-faim prêts à vendre leurs bras pour une maigre pitance ; lorsque l’exploité d’hier aura reçu l’instruction et qu’il aura ses idées à coucher sur le papier et à communiquer aux autres, force sera aux littérateurs et aux savants de s’associer entre eux pour imprimer leur prose ou leurs vers.

Tant que l’écrivain considérera la blouse et le travail manuel comme un indice d’infériorité, il lui semblera stupéfiant de voir un auteur composer lui-même son livre en caractères de plomb. N’a-t-il pas la salle de gymnastique ou le domino pour se délasser ? Mais lorsque l’opprobre qui s’attache au travail manuel aura disparu ; lorsque tous seront forcés d’user de leurs bras, n’ayant plus sur qui s’en décharger, oh, alors les écrivains, ainsi que leurs admirateurs et admiratrices, apprendront vite l’art de manier le composteur ou l’appareil à caractères ; ils connaîtront la jouissance de venir tous ensemble — tous appréciateurs de l’œuvre qui s’imprime — la composer et la voir sortir, la tirer, belle de sa pureté virginale, d’une machine rotative. Ces superbes machines — instruments de torture pour l’enfant qui les sert aujourd’hui du matin au soir — deviendront une source de jouissances pour ceux qui les emploieront afin de donner des voix à la pensée de leur auteur favori.

La littérature y perdra-t-elle quelque chose ? Le poète sera-t-il moins poète après avoir travaillé dans les champs, ou collaboré de ses mains à multiplier son œuvre ? Le romancier perdra-t-il de sa connaissance du cœur humain après avoir coudoyé l’homme dans l’usine, dans la forêt, au tracé d’une route et dans l’atelier ? Poser ces questions, c’est y répondre.

Certains livres seront peut-être moins volumineux ; mais on imprimera moins de pages pour dire plus. Peut-être publiera-t-on moins de maculature ; mais ce qui sera imprimé sera mieux lu, mieux apprécié. Le livre s’adressera à un cercle plus vaste de lecteurs plus instruits, plus aptes à le juger.

D’ailleurs, l’art de l’imprimerie, qui a si peu progressé depuis Gutenberg, en est encore à son enfance. Il faut encore mettre deux heures à composer en lettres mobiles ce qui s’écrit en dix minutes, et on cherche des procédés plus expéditifs de multiplier la pensée. On les trouvera.

Ah, si chaque écrivain avait à prendre sa part dans l’impression de ses bouquins ! Quel progrès l’imprimerie aurait-elle déjà fait ! Nous n’en serions plus aux lettres mobiles du XVIIe siècle.

Est-ce un rêve que nous faisons ? — Certainement pas pour ceux qui ont observé et réfléchi. En ce moment même, la vie nous pousse déjà dans cette direction.

Pierre KropotkineLa Conquête du pain1892

Langue étrangère

Les mots, vous le savez, sont les plus grands ennemis de la réalité. J’ai été pendant de longues années professeur de langues étrangères, occupation qui finit par devenir fatale pour les qualités d’imagination, d’observation et d’intuition dont un homme ordinaire a pu se sentir doté à un degré quelconque. Le professeur de langues voit infailliblement arriver un moment où le monde ne lui apparaît plus qu’à l’état d’un marché de mots innombrables, et où l’homme fait simplement figure d’animal parlant, peu supérieur en somme à un perroquet.

Joseph Conrad, Sous les yeux d’Occident

Journal Kafka

Merci à Laurent Margantin de nous offrir sa traduction du Journal de Kafka en format epub, à télécharger ici :

Journal Kafka epub

 

Franz Kafka, Journal 1910, Extrait

1.2 Les spectateurs se figent quand le train passe.

1.3 Sa gravité me tue. La tête dans le faux col, les cheveux figés et bien ordonnés sur le crâne, les muscles au bas des joues tendus à leur place

1.4 Est-ce que la forêt est toujours là ? La forêt était encore à peu près là. Mais à peine mon regard avait-il fait dix pas que je renonçai et me laissai reprendre par la conversation ennuyeuse.

1. 5 Dans la forêt sombre dans le sol détrempé je ne m’orientais que grâce au blanc de son faux-col.

1.6 En rêve je priais la danseuse Eduardowa d’accepter quand même de danser la czardas encore une fois. Elle avait une large bande d’ombre ou de lumière à travers le visage, entre le bas du front et le milieu du menton. Quelqu’un est venu juste à ce moment-là en faisant les gestes dégoûtants d’un intrigant qui s’ignore, pour lui dire que le train allait partir. A la manière qu’elle eut d’écouter cette information, j’ai été envahi par la conscience terrible qu’elle ne danserait plus. « Je suis une femme méchante et mauvaise n’est-ce pas ? » dit-elle. Oh non dis-je pas ça et je me suis apprêté à partir dans n’importe quelle direction.

1.7 Auparavant, je l’ai questionnée sur les nombreuses fleurs qu’elle portait dans sa ceinture. « Elles viennent de tous les princes d’Europe » dit-elle. Je me suis demandé ce que ça pouvait bien vouloir dire, que ces fleurs fraîches dans sa ceinture eussent été offertes à la danseuse Eduardowa par tous les princes d’Europe.

1.8 La danseuse Eduardowa, une passionnée de musique circule en tramway comme partout accompagnée de deux violonistes qu’elle fait souvent jouer. Car il n’y a aucune interdiction qui empêcherait de jouer dans le tramway si la musique est bonne, agréable aux voyageurs et ne coûte rien, c’est-à-dire si l’on ne passe pas ensuite parmi les voyageurs pour recueillir de l’argent. Il est vrai que c’est un peu surprenant au début et que chacun trouve ça incongru pendant quelques instants. Mais en pleine marche, avec un fort courant d’air et dans une rue silencieuse, c’est une mélodie charmante.

 Image : nationale 79, Allier, France

écrire le temps, la chronique nomade d’élisée reclus

Ce qui prend de l’importance historique est toujours fonction du présent immédiat.

Carl Einstein, La Sculpture Nègre

Lorsque j’ai proposé le thème La Chronique, écrire le temps pour la dissémination de février 2015 de la webasso des auteurs, je pensais aux almanachs, parce que le web est un almanach : d’un site à l’autre, on glisse sans transition de la politique à la fiction, de l’esthétique à la météo, de la littérature aux recettes de cuisine. Je suis donc parti sur le web à la recherche d’un texte à disséminer qui parlerait de politique de fiction de littérature de météo d’esthétique et de recettes de cuisine — :

rien trouvé.

 Pouilles

Pas grave. En proposant le thème « La Chronique, écrire le temps », je pensais aux almanachs, mais aussi à du sable. D’un côté, il y avait l’almanach, c’est à dire la Chronique, l’Histoire et l’anecdote, le Temps avec un grand T, la petite histoire dans la grande ; de l’autre, il y avait du sable : 

L’histoire se déplace continuellement. L’Europe, maintenant la première à ouvrir la route au progrès, était encore plongée dans les ténèbres que, depuis de longs siècles, la civilisation brillait d’un vif éclat sur quelque autre partie du globe, vide et désolée aujourd’hui. En Égypte, en Asie, combien de villes inscrites pour l’éternité dans les annales du monde, mais dont il ne survit guère plus que le nom et quelquefois un tell, un cairn, un dolmen, un modeste tombeau, un amas informe de ruines ensevelies sous le sable du désert : le nomade les foule aux pieds, non moins insoucieux des grandeurs déchues que le troupeau ruminant sous sa garde.

Léon Metchnikoff, La civilisation et les grands fleuves historiques

Je suis donc reparti sur le web à la recherche d’un texte à disséminer qui parlerait de politique de fiction de littérature de météo d’esthétique de recettes de cuisine et du sable. Car les blogs sont des pâtés de sable, et pour fabriquer des écrans, il faut du sable.

Après une longue errance, j’ai fini par trouver ce que je cherchais : une Etude sur les dunes publiée en 1865, dans laquelle Elisée Reclus propose une théorie de la formation des dunes mobiles, comprenant notamment :

Disposition symétrique des rangées de sable. — Hauteur des monticules. — Marche des dunes. — Déplacement des étangs du littoral. — Villages engloutis. — Obstacles opposés par la nature à la marche des sables. — Fixation des dunes par des semis.

Extraits :

Quand le vent du large souffle avec assez de force, on peut non seulement assister à la croissance des dunes, mais on peut également aider à leur formation et vérifier par l’expérience directe les assertions de la théorie. Qu’on dépose un objet quelconque sur le sol, ou mieux encore, qu’on enfonce dans le sable une rangée de piquets perpendiculairement à la direction du vent, aussitôt le courant d’air, qui vient se heurter contre l’obstacle, se rejette en arrière pour former un remous ou tourbillon, dont le diamètre est toujours proportionnel à la hauteur des piquets.

Figure 1

Arrêtés par ce remous, les grains de sable qu’apporte le vent se déposent graduellement en deçà de la barrière jusqu’à ce que la cime de la dune en miniature soit au niveau de la ligne idéale qui mène du rivage à l’arête supérieure de l’obstacle. Alors le sable, que pousse le souffle de la mer et qui remonte le plan incliné offert par la face antérieure du monticule, ne se laisse plus entraîner dans le remous et ramener en arrière ; il franchit le petit ravin que la gyration de l’air a ménagé en avant de la palissade, et vient tomber au delà pour s’accumuler peu à peu sur la face postérieure de l’obstacle en prenant la forme d’un talus d’éboulementTels sont toujours les premiers commencements de la dune, quel que soit l’objet qui s’oppose à la marche du vent. (…)

Sur le plateau faiblement ondulé qui s’étend au pied des grandes pyramides d’Égypte, on peut étudier aussi les mêmes phénomènes. Les vents d’est et de nord-est qui viennent frapper la face orientale de chacune de ces énormes masses, rebondissent en arrière et, développant sur le sol leurs ondes réfléchies, ne permettent pas au sable de se déposer sur les degrés inférieurs de l’édifice ; c‘est à une certaine distance seulement, à l’endroit précis où le courant répercuté est neutralisé par les masses d’air venues directement de l’est que se dresse le renflement de la dune. À l’occident de la pyramide, au contraire, un long talus de sable, plus ou moins incliné, vient s’appuyer à la base du monument lui-même.

Figure 3

Lorsque le travail de l’homme n’intervient pas pour arrêter le progrès des dunes formées sur le rivage de la mer, ces divers obstacles qui ont déterminé l’accumulation des sables disparaissent d’abord du côté de la terre sous un talus sans cesse agrandi ; puis, quand cette partie est cachée en entier, la face antérieure commence à s’engloutir à son tour. Le vent, au lieu de se développer suivant un plan horizontal, comme sur la surface de l’Océan, est obligé de prendre une direction oblique pour remonter le versant de la dune ; lorsque celle-ci est suffisamment élevée, le courant atmosphérique passe librement au-dessus de l’obstacle qui l’arrêtait auparavant ; le petit remous qui tournoyait en deçà arrête ses gyrations, et rien n’empêche alors le sable de combler peu à peu le ravin que la répercussion du courant aérien avait maintenu devant la barrière. Bientôt l’arête de la dune coïncide avec celle de l’obstacle, celui-ci disparaît complètement, et le monticule, grandissant comme une vague qui s’approche de la rive, redressant toujours plus haut sa crête incessamment déplacée, continue d’empiéter sur les terres. Les diverses couches de sable qu’apporte successivement le vent du large remontent jusqu’au sommet le versant maritime de la dune, puis, abandonnées à leur propre poids, s’étalent en larges nappes sur le talus d’éboulement et descendent en glissant jusqu’à la base.

Ainsi gagnent incessamment les dunes, grâce aux nouvelles couches de sable ajoutées à leur talus intérieur ; mais l’action du vent dominant ne se borne pas à les agrandir, elle finit aussi par les déplacer en entier et les faire cheminer pour ainsi dire sur le sol. L’objet à la base duquel le remous de l’air avait accumulé les premiers grains de sable se décompose à la longue, les intempéries, les insectes, l’humidité, les agents chimiques le détruisent, et quand il a disparu, le sable qu’il arrêtait redevient mobile. Le vent, qui n’enlevait les couches superficielles de la dune que pour les remplacer sans cesse par de nouvelles nappes de sable, peut emporter maintenant toute la partie antérieure du monticule ; il allonge le talus d’éboulement aux dépens de la face maritime, et la base de la colline, rongée par le vent, s’éloigne toujours plus du rivage. La dune est en marche ; elle s’avance à la conquête du continent.

A trois ou quatre milles au sud de Lowestoft, la côte s’étire en une longue courbe, légèrement arquée vers l’intérieur des terres. Du sentier qui franchit les dunes herbeuses et la falaise peu élevée, on aperçoit, en contrebas, la plage traversée de bancs de sable plats où sont plantés, de jour comme de nuit et tout au long de l’année, comme j’ai pu m’en assurer à diverses reprises, toutes sortes d’abris en forme de tente, confectionnés de bric et de broc à l’aide de piquets et de cordes, de morceaux de voile et de toiles cirées. En une longue rangée et à intervalles plus ou moins réguliers, les abris se dressent en bordure immédiate de la mer. On dirait les derniers représentants d’un peuple de nomade qui se seraient posés là, à l’extrême bord de la terre, en attente du miracle depuis toujours espéré, en vertu duquel privations et errances se trouveraient somme toute justifiées. En réalité, ceux qui campent ici, à ciel ouvert, n’ont évidemment pas eu à franchir de nouvelles contrées, voire des déserts pour rejoindre enfin ce rivage ; ce sont des gens du coin qui, suivant une antique coutume, restent posés là, à côté de leur canne à pêche, tournés vers le large, les yeux fixés sur la mer constamment changeante.

W.G. Sebald, Les Anneaux de Saturne, Babel-Actes Sud, p.67-68

Image : Pouilles, automne 2014

Heinrich Brüning, esthétique de l’austérité

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“J’ai rarement vu quelque chose d’aussi beau et d’aussi émouvant dans l’art de la photographie. »

Heinrich Brüning, inventeur de l’austérité, chancelier de la République de Weimar de 1930 à 1932 / préface à Gesang im Feuerofen. Köln – Überreste einer alten deutschen Stadt, (Hymne dans la fournaise. Cologne – Vestiges d’une vieille ville allemande), Hermann Claasen, 1947

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Radio Pelikan

Pour cette dissémination de la web-asso des auteurs, ce mois-ci sur le thème invention d’une webradio littéraire, proposé par Laurent Margantin, je lance Radio Pelikan, en commençant par une petite émission en forme de premier Pas :

On y trouve, sous forme de courtes séquences, des paroles écrites pour l’occasion, des sons des textes et des musiques glanés dans les nuages, des points et des virgules, et des extraits d’oeuvres, publiées sur le web ou ailleurs :

Une histoire populaire de l’humanité, Chris Harman

Aux îles Kerguelen, Laurent Margantin

Merci à Eric Schulthess (blog Sons de chaque jour), pour ses bons conseils techniques !

Europa Passage #1

1

Je vis dans une ville ancienne ville d’espaces et de temps enchevêtrés ville familièrement européenne avec son alignement de menhirs ses ruines gallo-romaines son château du treizième siècle ses demeures patriciennes son temple néo-baroque ses jardins ouvriers son projet de ville nouvelle durable pour remplacer la zone industrielle désaffectée, zone d’anciennes usines ou l’on produisait des piles et des machines à écrire, zone de terres gagnées sur le lac à la fin du dix-neuvième siècle suite à la régulation des eaux du Jura, ville ancienne jadis portuaire dont un tiers des habitants est comme je le suis, étranger, ville étrangement familière elle-même en migration vers le lac. En centre-ville la boutique qui vend des articles de seconde main nettoyés retouchés réparés par des chômeurs dans le cadre d’une entreprise d’insertion pour laquelle ils sont, version soft du travail forcé, contraints de travailler sous peine d’être privés de leurs indemnités annonce LA RENTREE en exposant dans sa vitrine un exemplaire de L’Archipel du Goulag. Vitrine d’un pays prospère dont les habitants ne songent, dès la rentrée, qu’à s’évader.

Moa Yverdon

Yverdon-les-Bains, Suisse, 28.08.2013

2

Vers le milieu des années mille neuf cent quatre-vingt peu de temps avant l’explosion de la centrale nucléaire de Tchernobyl je projetais des films dans un cinéma à Paris films inédits ou sortis du circuit un long métrage se compose de quatre ou six bobines qu’on assemble avec du scotch dans le bon sens et dans le bon ordre sur une grande roue métallique. C’était une époque assez froide assez dure temps déjà de la rigueur temps d’avant Tchernobyl d’avant Fukushima d’avant la glasnost d’avant la perestroïka temps d’avant la chute du mur de Berlin d’avant la crise des subprimes le lac Erié est gelé sur une chemise rose très pâle Ronald Reagan porte une cravate rayée bordeaux bleue. On nous donnait des bobines des bobines et encore des bobines films inconnus d’auteurs inconnus bobines à scotcher bobines toujours à enrouler pour qu’elles se déroulent dans la cabine sur la grande roue métallique entraînée par le projecteur. La nuit au sous-sol de Paris nous étions plusieurs d’ici et d’ailleurs à regarder les films en catimini

un radeau de fortune

le général Wojciech Jaruzelski

des acteurs en costume

de conquistador remontent l’Orénoque

dans une maison de thé du désert de Gobi

les escadrons de la mort

mille figurants chinois repoussent l’ennemi

X. ne rentre pas en Colombie

C. ne rentre pas au Salvador

pour échapper à l’armée S. est monté nu tout en haut du clocher

il ne rentre pas en Pologne.

3

Depuis 1909, date à laquelle l’industrie du cinéma adopte le format 35 mm comme standard international à raison de cinquante-deux images par mètre et de vingt-quatre images par secondes un film d’une durée de quatre-vingt-dix minutes mesure deux kilomètres et demi. Centaines, milliers de kilomètres de pellicule déroulés par le projecteur enroulés sur les roues métalliques toujours à rembobiner en risquant toujours qu’une pellicule mal scotchée mal amorcée se déroule dans le vide s’emmêle tourbillonne se répande dans toute la cabine.

4

Le 12 avril 1961 Youri Gagarine effectue en cent huit minutes une orbite complète autour de la terre dix-huit mois plus tard le 5 octobre 1962 sur la Karl-Marx Allee à Berlin la projection en cinémascope de Totentanz im Pazifik inaugure le Kosmos le plus grand cinéma du pays. Son plan en forme d’oeuf, comprenant une salle de mille et une places ainsi qu’un bar à lait est l’oeuvre d’un groupe d’architectes également à l’origine, peut-on lire dans une brochure éditée récemment par le leader européen des portes de garage basé non loin de Bielefeld en Westphalie du Nord, de la façade en nid d’abeilles du Warenhaus, le plus grand centre commercial de la RDA, qui ouvre en 1970 à l’angle nord-ouest d’ Alexanderplatz.

kosmos

Cinéma Kosmos, Berlin

5

Jour d’automne à Berlin

jour de froid jour de brouillard

dans un bar au premier étage du Warenhaus

auquel on accède par un double escalier métallique

en forme de X

un type dit que l’histoire est en avance sur la science

il dit qu’il est chanteur d’opéra

un métier exigeant qui lui permet toutefois

de discuter dans un bar avec des étrangers

au premier étage du Warenhaus

sous les alvéoles en aluminium gaufré

de la façade de treize mille mètres carrés

il dit que les progrès de la génétique

permettront un jour de déterminer

de manière scientifiquement exacte

la place de chaque individu dans la société

il dit qu’alors la science aura rattrapé l’histoire

et que le socialisme sera pleinement réalisé

jour d’automne à Berlin

jour de froid jour de brouillard

au temps d’avant la glasnost d’avant la perestroïka

d’avant Tchernobyl d’avant Fukushima

d’après les chars en Hongrie d’après le printemps de Prague

d’avant la chute du mur de Berlin

d’après les grèves de Gdansk

d’avant la crise des subprimes.

Warenhaus

Warenhaus, Berlin

6

Tu ne veux pas retourner au pays lointain mais quand tu lis une brochure éditée récemment par le leader européen des portes de garage basé non loin de Bielefeld en Westphalie du Nord, tu sais que tu dois retourner à Sztutowo, tu lis la brochure éditée non loin de Bielefeld en Westphalie du Nord et, sans savoir pourquoi ni comment, tu sais que tu dois retourner au pays lointain, que tu dois retourner à Sztutowo.

7

Nous ne partirons pas du principe que vous consentirez sans réserve à tout ce que nous allons vous montrer, annonce en première page la brochure éditée par le leader européen des portes de garage basé selon les informations dont je dispose, non loin de Bielefeld en Westphalie du Nord, nous ne partirons pas de ce principe car nous ne sommes pas sans ignorer à quel point le thème du shopping, surtout lorsqu’il s’agit de grandes galeries marchandes, fait polémique. Afin d’éviter tout malentendu, que ce soit bien clair entre nous : nous n’ignorons pas que lorsqu’il fut question notamment de la rénovation du Galeria Kaufhof sur Alexanderplatz à Berlin, un projet pourtant d’assez modeste envergure comparé aux centres commerciaux que nous présentons dans les pages suivantes, de véritables groupes de défenseurs se formèrent en faveur du maintien de la façade en aluminium gaufré, prévient la brochure éditée non loin de Bielefeld en Westphalie du Nord. C’est justement en raison de ces points de discorde que nous avons décidé de consacrer cette brochure au thème de l’achat, ajoute la brochure, en effet de gigantesques surfaces de vente voient actuellement le jour en Allemagne et presque personne n’en parle, or le fait qu’un nouveau centre commercial soit inauguré toutes les quatre semaines en Allemagne est la preuve indéniable que ce type de projet de construction est bien trop important pour qu’il n’en soit fait allusion nulle part, poursuit la brochure éditée par le leader européen des portes de garage, portes automatiques, portes à châssis tubulaire en aluminium, portes industrielles et commerciales.

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Ce qui est réel est rationnel ce qui est rationnel est réel écrit Georg Wilhelm Friedrich Hegel, mort le 14 novembre 1831 à Berlin du choléra. Ce qui est rationnel est clair et net ce qui est clair et net est rationnel disent les architectes qui ont remplacé la façade en aluminium gaufré du Warenhaus par la façade claire nette et rationnelle en verre et travertin du Galeria Kaufhof inauguré sur Alexanderplatz le 24 mai 2006 à Berlin, façade en verre et travertin semblable à celle de la Berolinahaus semblable à celle de l’Alexanderhaus elles-mêmes claires nettes et rationnelles en verre et travertin disent les architectes, dit la brochure éditée non loin de Bielefeld en Westphalie du Nord, Berolinahaus et Alexanderhaus inaugurés sur Alexanderplatz par le chancelier Heinrich Brüning le 30 janvier 1932 un an jour pour jour avant l’arrivée d’Adolf Hitler au pouvoir à Berlin (ne dit pas la brochure, ne disent pas les architectes).

galeria

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La façade du Warenhaus a été transformée dans le but de renouer avec l’architecture claire nette et rationnelle des années trente poursuit la brochure sans se demander si ce but – renouer avec l’architecture claire nette et rationnelle des années trente – était lui-même clair net et rationnel, les façades en aluminium gaufré, affirme la brochure, sont emblématiques de l’architecture de la R.D.A. or la R.D.A. n’était pas claire, la R.D.A. n’était pas nette, la R.D.A. n’était pas rationnelle c’est pourquoi il a été nécessaire de procéder au remplacement des façades en aluminium gaufré, de la Rome Antique à la Renaissance on a toujours construit en travertin le Colisée à Rome est construit en travertin le théâtre de Marcellus à Rome est construit en travertin tandis qu’en R.D.A. et seulement en R.D.A. on a construit des façades  en aluminium gaufré pensent, mais ne disent pas les architectes et la brochure éditée non loin de Bielefeld en Westphalie du Nord.

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Le 6 janvier 1932 quand s’achèvent, grâce à l’injection de capitaux américains, les travaux de la Berolinahaus et de l’Alexanderhaus, l’Allemagne est en cessation de paiement. D’un point de vue strictement économique, l’année 1931 a été des plus désastreuses, les banques sont en faillite, le P.I.B. a chuté de 10 % et six millions de personnes sont au chômage. Dans ce contexte la politique déflationniste, claire nette et rationnelle menée par le chancelier Brüning n’atteint son objectif de réduction du déficit public à moins de 3 % du P.I.B. qu’au prix d’une réduction cruelle des salaires des allocations chômage et des dépenses sociales, une politique claire nette et rationnelle qui ne fait qu’aggraver la crise économique et les souffrances de la population, une politique claire nette et rationnelle en bien des points comparable à celle appliquée de nos jours en Europe et c’est peut-être pourquoi quand tu lis la brochure éditée non loin de Bielefeld par le leader européen des portes de garage portes automatiques industrielles et commerciales portes anti-fumée à vantaux en aluminium, tu sais que tu dois retourner à Sztutowo mais que tu dois y retourner par tes propres moyens, car aucune brochure ne te dira comment retourner à Sztutowo.

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Qu’importent les raisons pour lesquelles tu dois retourner à Sztutowo, les raisons pour lesquelles tu dois retourner à Sztutowo sont multiples et resteront toujours obscures, jamais elles n’accéderont à la clarté à la netteté à la rationalité songes-tu en lisant la brochure éditée non loin de Bielefeld en Westphalie du Nord, en lisant la brochure tu sais non seulement que tu dois retourner à Sztutowo mais aussi que tu ne sais pas comment retourner à Sztutowo, en lisant la brochure tu sais que le véritable enjeu de ton retour à Sztutowo n’est pas à rechercher dans les causes ni dans les conséquences de ton retour à Sztutowo mais que le véritable enjeu de ton retour à Sztutowo est à rechercher dans la manière dont tu t’y prendras pour retourner à Sztutowo par tes propres moyens, c’est à dire par des moyens obscurs, sans aucune clarté, sans aucune brochure, et ainsi de suite.

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Tu prends le train pour te rapprocher de Sztutowo mais dès que tu prends le train pour te rapprocher de Sztutowo Sztutowo s’éloigne, tu prends le train pour te rapprocher de Sztutowo le train longe la dune pendant des heures le train longe la dune pendant des heures interminables aucun train n’avance aussi lentement que le train qui longe la dune en direction de Sztutowo aucune dune ne reste identique à elle-même pendant des heures interminables sans jamais s’affaisser ne serait-ce qu’un instant or la dune que longe le train dans lequel tu es monté pour te rapprocher de Sztutowo ne s’affaisse jamais, la dune que longe le train dans lequel tu es monté pour te rapprocher de Sztutowo est interminable et reste identique à elle-même pendant des heures interminables, pendant des heures interminables sur la dune interminable passent un clocher une bâtisse en brique un troupeau d’oie un clocher une bâtisse en brique un troupeau d’oies, pendant des heures interminables toujours le même clocher la même bâtisse en brique le même troupeau d’oies,

clocher noir brique rouge troupeau blanc

clocher noir brique rouge troupeau blanc

sur la dune interminable

et sous les cieux toujours changeants

ciel bleu ciel noir ciel gris ciel blanc

ciel bleu ciel noir ciel gris ciel blanc

pendant des heures interminables

clocher noir ciel bleu

brique rouge ciel noir troupeau blanc

ciel gris clocher noir ciel blanc.

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Vide et silencieux le train longe la dune interminable, vide et silencieuse la dune longe la mer Baltique interminable, Emmanuel Kant est né le 22 avril 1724 à Kaliningrad, Arthur Schopenhauer le 22 février 1788 à Gdansk où le docteur Rudolf Spanner, à la tête de l’institut d’anatomie de 1940 à 1945, élabora un procédé de fabrication de savon à base de graisse humaine extraite des cadavres de personnes exécutées dans les prisons de Königsberg et de Gdansk, de patients de l’institut psychiatrique régional de Kockborowo, et de détenus du camp de concentration de Sztutowo

lire une suite ici : Balys Sruoga, La Forêt des Dieux

et une autre là : Grèce Fantôme

Merci à pour sa lecture d’Europa Passage sur le blog Rue des immeubles industriels

Le coeur a sa mémoire

A Venise

une préparation en cire

montrant le réseau des fibres

musculaires

aux portes du coeur

W. G. Sebald, Nul encore n’a dit, trad. Patrick Charbonneau, éditions Fario 2014

En écho à la proposition de Serge Bonnery de diffuser des textes sur le thème « quelle littérature après Auschwitz », je vous invite à écouter une chanson de Mauricette Leibowitch.

le coeur a sa mémoire

Le 23 juin 1943, le convoi n° 55 emporte 895 adultes et 123 enfants, du camp d’internement de Drancy, vers la mort. 895 adultes, dont Rosa Korb, la mère de Mauricette Leibowitch. Déportée à Auschwitz Birkenau, elle n’en reviendra pas.

Mauricette Leibowitch est la soeur de Francis Lemarque :

« Je ne veux pas terminer ce récit sans parler de Raymond Leibowitch que j’ai connu à l’époque du Front Populaire [….] Peu de temps après la Libération ma soeur Mauricette devint sa compagne. Grâce à cette rencontre notre amitié se changea en une profonde affection. [….] Quand Mauricette se retrouva seule, elle refusa de s’abandonner au désespoir et se plongea dans des activités qui allaient de l’étude de la langue yiddish à celle du solfège. Ensuite elle se munit de deux petits hauts-parleurs sur lesquels elle brancha un micro. Ainsi équipée elle descendit chanter dans la rue, simplement par amour de la chanson. Elle inscrivit en gros caractères, sur une pancarte qu’elle mettait à ses pieds : « Ne me jettez pas de sous, je chante uniquement pour mon plaisir et, je l’espère, peut-être aussi pour le vôtre. Merci ». Elle a ainsi trouvé le meilleur chemin pour se faire entendre. Un beau jour elle fut engagée dans le spectacle « Paroles » de Jacques Prévert, mis en scène par Robert Fortune, avec Brigitte Fossey, Catherine Arditti et Maurice Blanchot au piano. Elle composa aussi les paroles et les musiques de chansons très originales, mélodieuses, avec lesquelles elle obtint des triomphes chaque fois que j’eus l’occasion de la faire participer à quelques spectacles. Voilà ce que ma soeur est devenue quand elle se retrouva seule, un « mentch ».  » [mot yiddish désignant un individu probe et honorable, plein de respect pour autrui] 

Francis Lemarque, J’ai la mémoire qui chante, Presses de la cité, 1992

En 1998. les Têtes Raides enregistrent Le coeur a sa mémoire sur l’album Chamboultou.

En 2008, le groupe invite Mauricette Leibowitch sur scène:

Sources :

Francis Lemarque

Le guichet du savoir, bibliothèque municipale de Lyon

The Central database of Shoah Victims’ Names

 Liste des convois de la déportation des juifs de France

Blog de Serge Bonnery : L’épervier incassable

Kate Stables : this is the kit !

Oui, les mots que j’entendais, et je les entendais très bien, ayant l’oreille assez fine, je les entendais la première fois, et même encore la seconde, et souvent jusqu’à la troisième, comme des sons purs, libres de toute signification. Samuel Beckett, Molloy

Déjà on entend les papillons de nuit jaillir de l’obscurité entre les pins du karst. Un long train de marchandises, sous scellés, passe en brinquebalant, et à l’extérieur des wagons, seule chose claire, les petits plombs qui volètent, au bout des cordelettes. Au silence qui suit — c’est le temps entre les dernières hirondelles et les premières chauves-souris — retentit le son du juke-box. Peter Handke, Essai sur le juke-box

En lisant la proposition de Serge Marcel Roche nous invitant, pour la dissémination d’octobre de la web-association des auteurs, à diffuser des textes sur le thème écouter, j’ai pensé à cette scène d’Alice dans les villes de Wim Wenders où l’on voit, dans un bar, la fillette assise sur une table balancer ses jambes dans le vide — sur une table, ou sur une chaise, il faudrait vérifier sur Youtube —  en tout cas elle est assise à côté du juke-box, le juke-box joue On the road again de Canned Heat et elle, elle balance ses jambes dans le vide pour battre la mesure.

J’ai pensé à cette scène parce qu’en lisant la proposition de Serge Marcel Roche, poète basé au Cameroun dont on peut lire les textes sur le blog Chemin Tournant, j’ai pensé à Youtube,  et en pensant à Youtube j’ai pensé aux juke-box, et en pensant aux juke-box j’ai pensé aux blogs, parce que les blogs sont des juke-box.

Or, si j’ai pensé à Youtube et donc aux juke-box, c’est parce qu’en lisant la proposition de Serge Marcel Roche j’ai pensé à This is the kit, un groupe que j’ai découvert par hasard sur le web à la fin du printemps, que j’écoute encore sur le web au milieu de l’automne, et que j’écouterai encore au prochain printemps !

This is the kit, c’est le projet musical de la chanteuse Kate Stables (« and whoever joins her »), que je remercie mille fois pour le texte de la chanson Spinney, et pour ses réponses à mes questions !

spinney

J’ai demandé à Kate Stables quelle chanson elle choisirait si elle devait n’en choisir qu’une, je lui ai dit que j’étais fasciné par la manière dont elle pouvait interpréter un même morceau de différentes façons, acoustique ou électrique, avec des musiciens divers, ou en solo, etc, et que je voudrais montrer cela, montrer que c’est toujours la même chanson, et que ce n’est jamais la même. Et je lui ai dit que j’appréciais beaucoup le fait quelle diffuse toutes ces différentes versions — que c’était risqué ! et que c’était faire preuve d’une grande liberté. J’ai ajouté que j’étais aussi impressionné par les musiciens qui l’entourent et qui inventent à chaque fois des solutions différentes, je pensais en particulier à Jesse Vernon, et à Rozi Plain, qui est selon moi une grande musicienne.

Kate m’a répondu qu’elle proposait Spinneydont il existe beaucoup de versions différentes, par exemple en plein air en acoustique « avec Jamie et Rozi », très belle version devant un mur en brique, ça doit être au printemps, les forsythias sont en fleur et on entend chanter les oiseaux, à un moment les trois musiciens tournent la tête vers la gauche, on ne voit pas ce qu’ils voient on n’entend pas ce qu’ils entendent, quelqu’un peut-être qui passait par là s’est arrêté mais ils ne se laissent pas déconcentrer,

une autre vidéo de la même chanson est on ne peut plus étrange, cette fois les instruments sont électriques mais le public est assis et très statique, le concert est donné semble-t-il à l’occasion du vernissage d’une exposition de poteries japonaises, ce qui explique peut-être la tonalité dans laquelle joue le violoniste,

Spinneyc’est un bon choix ai-je pensé, je ne comprends pas l’intégralité du texte, et d’ailleurs ce n’est pas impossible qu’il y ait un double sens, mais je crois que Spinney signifie bosquet, taillis, petit bois, or boisée est un adjectif qui me vient à l’esprit pour définir la musique de This is the kit, boisé, le son très mat de la guitare de Kate Stables, qu’elle accorde, me dit-elle, souvent D A D G B E et de temps en temps C G D G B E, boisés les titres des chansons — Two Wooden Spoons, Birchwood Beaker … — élément bois auquel j’ajouterais l’élément eau, parce que dans la campagne anglaise, on n’est jamais très loin de la mer, on se promène dans un chemin creux, des moutons à tête noire vous regardent, on entend passer une mobylette au loin

En ce moment Kate Stables, qu’est-ce que vous entendez ? .

j’entends l’autonne et le soleil qui brule toujours assez fort même si on est presque en novembre. Il y a pas mal des choses fous qui ce passe dans le monde en ce moment. mais j’entends aussi de l’Espoir et les gens qui s’engagent pour améliorer des choses ensemble et pour les autres.

Vous écoutez ?

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le nouvel album de rachael   dad « we resonate »

anything by richard dawson. surtout l’album « magic bridge « 

« the other side of town » by kidsaredead

navidad nuestra by ariel ramirez. best christmas album record ever made in my opinion.

et pas mal de benjamin britten. he’s so very great. i love quality chorale stuff. ninja singers singing insanely difficult harmonies and arrangements.

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Vous lisez ?
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a confederacy of dunces by john kennedy tooleishi last of his tribe by theodora kroeber

tehanu by ursula le guin and to my daughter i’m reading the firework makers daughter by philippe pullman.

Vous écrivez ?
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j’essaye d’ecrire un nouvel album avant fevrier (j’ai un nouvel album qui sort en fevrier et j’aimerais bien avoir un new nouvel album ecrit avant !)
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Ecrire une chanson, ça marche comment ? Les mots d’abord ? Ou la musique ? Comment écrivez-vous ?
.
n’importe comment . mais la plupart du temps c’est beaucoup des petites phrases ou idées. et puis après c’est un peu le jigsaw puzzle d’essayer de tout organiser dans des chansons. car bien sûr il y a des thèmes et des idées qui ses corispondent même si j’avais écrit les phrases differents aux moments différents. ou j’écris la musique et les mots et la mélodie arrivent après. ou, j’écris les paroles en entier et la musique prend sa forme autour des mots. anything goes.
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Vous jouez dans toutes les configurations possibles et imaginables, souvent en solo ou en formule légère : choix esthétique ? Question de budget ? 
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oui souvent c’est une question de budget ! mais logistiques aussi car les autres musiciens avec qui je joue habitent tous en angleterre. mais j’ai aussi des amis français qui viennent jouer avec moi si c’est pour des dates a paris ou si les amis anglais peuvent pas venir. et même un peu par tout on a des amis qui peuvent venir jouer sur scène. in a few different countries we have frineds who are happy to join in. j’aime bien ca, que ca change souvent. sinon ca devient trop « stagnant » et ca change jamais. it keeps me on my toes/keeps me paying attention to play in different shapes and sizes and to make as well as include different friends. the musical exchange between people is what makes the concert often.
Je remarque que vos chansons finissent souvent de manière assez tranchée, l’intensité est là dès le début, et il me semble que vous ne cherchez pas à « en faire de trop » sur la fin des morceaux ; on a l’impression que vous êtes attentive à maîtriser votre production?
mmh. good question. let me think……
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Vous vivez à Paris ? Chanter en français ? Ecrire en français ? A vos oreilles, comment ça sonne, le français ?
.
j’habite a paris oui et je chante en francais oui. je chant dans le projet d’une amis qui s’appelle catherine hershey :

c’est quatre voix acapella. c’est des compositions ecrit et enregistré par catherine hershey et puis pour le « live » on est quatre. c’est tres beaux et ses textes me rappellent de leonard cohen. very poetic. lots of religious imagary and sex. mais le son c’est plutot chant polyphonic du moyen age. donc oui je chant en francais mais je n’ecrit pas en francais. je connais pas assez bien la langue. for me i need to really be able to play with the words and put sentences into shapes and sizes that they wouldn’t normally be. the sounds are very important to me. the words as instruments. je parle pas encore assez bien francais de faire tout ca. il y a des gens qui arrivent a la faire meme dans une deuxiemme langue. david ya ya de herman dune par example. il ecrit des choses tres beaux et poetique et sage et il raconte des histoires dans une maniere tres elequent (est ce que ca se dit en francais ou est ce que c’est que en anglais?) et pour le son de francais. ca me plait enormement. i did choose to live in france and in french after all. to learn and speak a different language teaches us so much about other ways of thinking and communicating. et puis ca devient une partie de ta charactere. ca me manque quand je suis pas en france. ca fait toujours du bien de revenir a paris et de parler en francais.

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J’ai vu que vous allez jouer bientôt à Norwich. Vous connaissez ? Pour moi c’est une ville mythique, W.G. Sebald y a vécu, enseigné. 
.
oui! j’aime bien norwich. il y a un rue qui s’appelle st benedicts street et c’est magic. excellent shops and venues. the bicycle shop, norwich arts centre. des magasins de charités des magasins de musiques. great. et on a aussi plein d’amis qui habitent la bas. et un ou deux fois on a joué dans un endroit qui s’appellent Dragon Hall. c’est un ancien halle de commerce du moyen age et ca c’etait tres magic aussi !
Dans une autre vidéo, tournée cette fois en studio au sud de Londres, Spinney est jouée sans violon mais avec un clavier,

et celle-ci est tournée en plein air, dans un parc à Paris, avec des enfants. Des fillettes, qui ont peut-être le même âge qu’Alice (dans les villes), battent le rythme en tapant des mains. A un moment l’une d’elles se retourne pour faire taire les garçons qui courent derrière en criant.

par ici : le blog de this is the kit

par là : blog de l’illustratrice Phoebe Wahl, qui nous a fait connaître this is the kit

par ici : le site de this is the kit

par là : le label

par ici : this is the kit sur facebook

par là : rozi plain

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Images : Somerset, juillet 2014