L’écrivain et son double

L’écrivain et son double étaient deux écrivains dont l’un était le double de l’autre et l’autre le double de l’un.

L’écrivain et son double n’étaient ni du même âge, ni du même sexe, ni du même pays. L’un vivait au sud et l’autre au nord.

L’écrivain du sud écrivait dans une langue du sud, l’écrivain du nord dans une langue du nord.

Quand l’un s’installait à son bureau, l’autre aussi, quand l’un commençait à écrire, l’autre aussi, et quand l’un avait fini, aux antipodes l’autre aussi.

Quand l’un écrivait un essai, l’autre aussi, quand l’un écrivait un récit, l’autre aussi, et quand l’un écrivait de la poésie, aux antipodes l’autre aussi.

Loin l’un de l’autre, sans le savoir parfaitement synchronisés, les deux écrivains ont écrit ainsi pendant des années. Les mêmes essais, les mêmes récits, la même poésie.

L’écrivain du bout du monde

L’écrivain du bout du monde vivait tout seul au bout du monde dans une cabane en livres.

Mon igloo c’est ma bibliothèque et ma bibliothèque c’est mon igloo disait l’écrivain du bout du monde, quand j’ai besoin d’un ouvrage je l’extrais délicatement, autrefois tout s’écroulait maintenant j’ai de l’entraînement, j’ôte cinq ou six volumes mon igloo reste intact, j’ai la vue sur la steppe, et l’aération.

Depuis le temps que j’habite ici j’ai eu tout le loisir de perfectionner mon igloo ajoutait l’écrivain du bout du monde, chaque soir je sais précisément quel livre extraire pour profiter pleinement du coucher du soleil.

Mon igloo c’est mon observatoire et mon observatoire c’est ma bibliothèque disait l’écrivain du bout du monde, c’est pratique, je n’ai pas à me soucier du choix de mes lectures, la précession des équinoxes et les lois de la gravitation universelle me dictent chaque nuit la liste, variable à l’infini, des ouvrages à emprunter pour pouvoir contempler les anneaux de Saturne ou regarder passer les comètes.

En m’attaquant aux fondations j’ai failli ébranler plus d’une fois le savant équilibre de mon édifice racontait l’écrivain du bout du monde, dernièrement suite à la chute d’une météorite j’ai pris des risques insensés pour observer les chercheurs de fragments se courber comme des arbres morts sur l’horizon.

Grâce à mon système je relis parfois mes propres ouvrages disait l’écrivain du bout du monde, certes je n’ai jamais publié d’oeuvres épaisses comme celles qui constituent véritablement l’ossature de mon igloo mais plutôt des fascicules, de fines brochures qui me servent l’été à ventiler, l’hiver à boucher les courants d’air. Tout de même, disait-il, je suis tombé récemment sur un volume dont je suis assez fier, composé d’un unique poème de jeunesse que j’ai fait traduire en cent soixante-douze langues, il atteint presque les deux cents pages.

En comparant les traductions j’ai pu acquérir quelques notions d’aïnou d’oudmourte de tchouvache, précieux rudiments qui m’ont permis plus d’une fois de déchiffrer la paroi, disait l’écrivain du bout du monde.

N’allez pas croire que mon igloo soit exclusivement littéraire disait l’écrivain du bout du monde, traités, manuels, almanachs, il se compose de ce que j’ai trouvé au hasard des chemins.

Depuis que j’ai extrait de la voûte ce qui m’a tout l’air d’être un Annuaire des Marées, la steppe ondule au point de faire tanguer mon igloo, disait l’écrivain du bout du monde.

Spectacle inoubliable que celui de mes jardins à la dérive, jardins de vent jardins de givre et de graminées dont le tracé est désormais constamment modifié par le flux et le reflux du terrain disait l’écrivain du bout du monde, n’est-ce pas dans l’ordre des choses que la steppe elle aussi nomadise ?

L’écrivain du bout du monde écrivait dans une langue dont nous étions lui et moi les deux derniers locuteurs.

Milar Lagos Book Igloo

L’écrivain de demain

L’écrivain de demain n’écrivait pas hier n’écrit pas aujourd’hui il écrira demain l’écrivain de demain il écrira qu’hier c’était hier qu’aujourd’hui les conditions ne sont pas réunies demain il écrira qu’il n’écrivait pas hier qu’il n’écrit pas aujourd’hui qu’il écrira demain l’écrivain de demain il écrira qu’il n’y a pas d’histoires qu’il n’y a plus d’histoires qu’il n’y a qu’une histoire toujours la même histoire

L’écrivain de demain il écrira demain la charrue sans début les boeufs après la fin

L’écrivain de demain il écrira demain labyrinthe global fragmentaire morcelé la nature de nos os l’expérience a changé les romans on s’en fout plus personne ne lit tout

tout le monde écrit bi

ographies de nos vies

globales fragmentées

L’écrivain de demain il n’écrira pas toujours il ne parlera pas toujours il ne se taira pas toujours l’écrivain de demain il ne se taira pas toujours quand il écrira il ne se taira pas toujours quand il n’écrira pas l’écrivain de demain il ne se taira pas demain quand il parlera il ne se taira pas demain quand il se taira l’écrivain de demain il ne parlera pas toujours quand il écrira il ne parlera pas toujours quand il n’écrira pas il ne parlera pas demain quand il parlera l’écrivain de demain il ne parlera pas toujours quand il se taira il n’écrira pas demain quand il parlera l’écrivain de demain il n’écrira pas toujours quand il se taira il n’écrira pas toujours l’écrivain de demain quand il écrira il n’écrira pas demain quand il n’écrira pas l’écrivain de demain

L’écrivain de demain

il écrira bien en haut

il écrira bien en haut

l’écrivain de demain

il écrira bien en bas

il écrira bien en bas

l’écrivain de demain il écrira bien devant

il écrira bien devant

l’écrivain de demain il écrira bien derrière

il écrira bien derrière

l’écrivain de demain il écrira bien à droite

il écrira bien à droite

l’écrivain de demain il écrira bien à gauche

il écrira bien à gauche

et sur les côtés

 

Ainsi commencera le récit

qu’il écrira demain

l’écrivain de demain

 

L’é

cri

vain de demain

de

main

sera le roi

le roi

de la samba

 

L’é

cri

vain de demain

de

main

sera le roi

le roi

de la samba

Il reviendra demain l’écrivain de demain