Ce petit pays était si petit qu’on y croisait jour après jour toujours les mêmes individus, miniatures en chair et en os dont les visages, placardés en grand format dans les gares, vous invitaient à partir en voyage ou à souscrire une assurance-vie.
Archives de l’auteur : renaud schaffhauser
Serres
Je croisse
Web-association des auteurs, dissémination de février 2016
A la veille d’une mobilisation générale à Notre-Dame-des-Landes pour l’abandon du projet d’aéroport et pour l’avenir de la ZAD, une chanson peut-être toujours d’actualité, bien que publiée en 2006 sur l’album Demain sera mieux (groupe Lombric).
il n’y a pas de limite demain sera mieux je mise tout sur un frigidaire pas cher une vraie chambre froide et sur l’affinage d’une tonne de camembert je croisse mais quand j’ai ouvert la porte du frigo il n’y avait plus que des vers ils croissent il n’y a pas de limite demain sera mieux je mise tout sur les asticots et sur un élevage de saumons sauvages en chambre froide je croisse mais quand j’ai ouvert la porte du frigo il y avait des grenouilles qui jouaient aux cartes et des corbeaux qui fumaient ils croissent il n’y a pas de limite demain sera mieux je mise tout sur le trèfle dans la chambre froide un vrai petit fermage de gazon en rouleau je croisse mais quand j’ai ouvert la porte du frigo il y avait un taureau et des génisses qui broutaient elles croissent il n’y a pas de limite demain sera mieux je mise tout sur une machine à traire et sur l’affinage de deux tonnes de camembert je croisse mais quand j’ai ouvert la porte du frigo il y avait un renard qui me dit chut Mozart est là on a tout misé sur sa petite musique alors maintenant tu dégages avec tes fromages j’ai juste eu le temps de claquer la porte avant qu’il sorte son flingue j’ai débranché le frigo and now
are you ready for rock’n roll ?
Images : linogravures
Manifestation contre l’état d’urgence
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Dissémination état de sécurité
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Attention. Ne lisez pas ce texte. Ce texte est peut-être suspect. Lire un texte suspect est suspect. Vous expose à des poursuites.
Celui qui a lu ce texte : assigné. Doit pointer trois fois par jour au commissariat. Demandez-lui s’il ne regrette pas. Il dit qu’il ne recommencera plus jamais à lire ce texte. Mais maintenant c’est trop tard. Il fallait y penser avant.
Celle qui a lu ce texte : assignée. Doit pointer quatre fois par jour au commissariat. Demandez-lui si elle ne regrette pas. Elle dit qu’elle ne recommencera plus jamais à lire ce texte. Trop tard. Elle aurait dû y penser avant.
Attention. Ne lisez pas ce texte. Ce texte est peut-être subversif. Lire un texte subversif est subversif. Lire un texte subversif est suspect. Vous expose à des poursuites.
A quoi reconnaît-on un texte subversif ? Attention. Cette question est suspecte. Vous expose à des poursuites.
Celui qui l’a posée : assigné. Demandez-lui s’il ne regrette pas. Il dit qu’il ne recommencera plus jamais. Qu’il ne posera plus jamais aucune question. Trop tard, il aurait dû y penser avant. Pointage cinq fois par jour au commissariat.
Celle qui l’a posée : assignée. Demandez-lui si elle ne regrette pas. Elle dit qu’elle ne recommencera plus jamais. Qu’elle ne posera plus jamais de question subversive, qu’elle ne posera plus jamais de question suspecte. Elle croit que c’est elle qui décide si les questions qu’elle pose sont subversives ? Que c’est elle qui décide si les questions qu’elle pose sont suspectes ? C’est suspect ! Elle aurait dû y penser avant. Pointage six fois par jour au commissariat.
Attention. Ne lisez pas ce texte. Il contient peut-être des (le texte a été arrêté ici)
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Manifestations contre l’état d’urgence samedi 30 janvier 2016
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L’argument ultime des partisans de l’état d’urgence, c’est toujours : « oui mais, les sondages le prouvent, une majorité de Français est pour ». Sondages relayés servilement par la presse, souvent sous forme d’articles façon micro-trottoir, tel celui, particulièrement édifiant, publié par Camille Bordenet dans le Monde daté du 26.01.15, dont sont extraits le titre et les intertitres ci-dessous :
J’ai encore trop peur, une majorité de Français soutiennent l’état d’urgence , Imaginez qu’il y ait un nouvel attentat, Rassurant, D’accord pour amender quelque temps nos libertés, Délai de prolongation, Pas dérangeant au quotidien, Faire confiance au gouvernement
Lecture d’hiver : Centurie
En règle générale, les hommes qui viennent attendre le train dans cette gare meurent pendant l’attente. Ce n’est pas une mort terrible, très calme au contraire, et, à sa manière, élégante ; certains d’entre eux se font escorter par leur famille, par leurs fils en particulier, qui portent de longues chaussettes noires et des culottes courtes, afin qu’ils apprennent la manière de mourir dignement. A mesure qu’ils meurent, les hommes sont transportés dans une chapelle ornée des visages de nombreux Saints, diversement miraculeux. Tenant son chapeau à la main, et par pure politesse, un employé du chemin de fer demande si l’une ou l’autre de leurs Majestés les Saints consentirait à ressusciter le défunt. Il observe cinq secondes de silence, porte un regard générique et interrogatif sur les Saints, s’incline, sort et se coiffe à nouveau de son chapeau parce que la gare est balayée par un vent incroyable. Le vent descend d’une faille ouverte dans la roche, et l’on ignore où il a pu se charger de ce gel sec et étranger qui fait de la gare, d’après ce qu’on dit, un lieu des plus salubres et fort reposant. On pourrait soutenir que les morts de toutes ces personnes – il arrive que meurent des familles entières – sont un démenti à la prétendue salubrité de l’air. En réalité, tous sont convaincus que s’ils n’étaient pas venus jusqu’ici, ils seraient morts bien avant. Certains ne seraient même jamais nés. En général, l’attente de la mort n’est ni longue ni pénible ; la compagnie est nombreuse, on papote, il y a des jeux pour les enfants et les adultes. Le chef de gare, homme vigoureux et bienveillant, caresse les enfants et salue les clients. Les trains qui s’arrêtent dans cette gare sont au nombre de trois : chacun arrive d’un endroit différent et repart dans une autre direction. Il faut cependant tenir compte du fait que chaque ligne est desservie par différents types de trains, dont certains s’arrêtent, ou sont censés s’arrêter, si le chef de gare l’ordonne. D’autre, plus importants, ne s’arrêtent en aucune manière, ne se rendent à aucune prière. On aperçoit les visages de profil, taillés dans le bois, de gens qui doivent accomplir un long voyage. Parfois, un train qui pourrait s’arrêter se met à ralentir, le conducteur se montre à la fenêtre de sa cabine, et scrute avec une appréhension interrogative le chef de gare, lequel se tourne vers le public et, muet, l’interroge. Les gens font des gestes de la main, comme pour dire : « On vous en prie, on vous en prie ! » ou « Vous trouvez vraiment que ça en vaut la peine ? », à moins qu’ils ne regardent le train comme sil était transparent. Le train accélère et, lorsqu’il a disparu, on vient retirer les cadavres, tous vêtus de noir.
Centurie dix, Giorgio Manganelli, Trad. Jean-Baptiste Para, Editions cent pages
Images : grues, Berry, France, 2015
Jacques Fradin, le punk de l’économie
Dissémination état d’urgence webasso des auteurs
Parmi les voix critiques, voire dissidentes, circulant sur le web, il en est une à laquelle le contexte particulier d’état d’urgence confère me semble-t-il une tonalité des plus subversive. Il est donc urgent – c’est à dire, tant que c’est encore possible – de l’écouter et de la diffuser : la voix de Jacques Fradin, le punk de l’économie.
Où il sera question de Philip K Dick, de George Orwell, de la loi Macron, et des oppositions imaginaires.
(Entretien réalisé dans les jours qui ont suivi le carnage à Charlie-Hebdo, extrait de la série Qu’est-ce que l’économie diffusée par Lundi Matin )
Filmer #12 : Au sud,
Note de terrain n°2.
Filmer #11: bouillon blanc
Note de terrain n°1
Filmer #10
Je pars dès demain sur le terrain confirmer mes hypothèses. Serai de retour dans quelques jours.
Filmer #9
Le rapport entre vitesse d’écriture et vitesse de lecture n’a fait l’objet d’aucune étude sérieuse jusqu’à ce jour. On peut cependant supposer qu’un texte écrit rapidement sera lu d’autant plus rapidement. Car le lecteur cherchera toujours à maintenir son avance sur l’auteur. Ecrivez plus vite, Messieurs les auteurs ! Prenez des cours de dactylo. Le lecteur vous lira plus vite et ne s’en portera que mieux. Il lui restera du temps pour enfiler des perles. Ouvrir une onglerie. Se faire tatouer un cheval bleu.
C’était comme si l’auteur, expliqua Korim, et ce n’était pas une image, s’était servi, en guise de stylo et de mots, de ses ongles, pour graver les choses sur le papier et dans l’imaginaire du lecteur, (Laszlo Krasznahorkai)
Filmer #8
L’homme de Blombos, premier humain moderne, n’est pas né de la dernière pluie. Moi non plus. Je connais l’âme humaine. Indiscutablement, les incisions sur ocre de Blombos attestent que soixante-dix-sept mille ans avant J.C., l’homme de Blombos savait déjà écrire. Mais préférait peut-être ne pas. Que mangeait-on à Sumer ? Des coquillages ? Des morues ? Des otaries ? Des dauphins ? Lecteur ordinaire à trois cents mots minute — tu connais l’âme humaine — crois-tu sincèrement qu’homo sapiens aurait inventé l’écriture à seule fin de comptabiliser les ovins ?
On ne voit pas clairement pourquoi ce cheval bleu va connaître bientôt une joie immense,
mais il va la connaître, sans aucun doute.
Norge
Filmer #7
Je vais essayer d’écrire trois cents mots. Qu’un lecteur ordinaire lira en une minute. Ça va me prendre cinq heures. Sans compter les recherches. Aujourd’hui il pleut. La pluie tombe à grosses gouttes. Il pleut beaucoup. Il pleut fort. Je reste à l’abri. D’habitude je sors. Quoique. Poser la caméra sous la pluie. Ça se peut. Filmer les gouttes qui tombent. C’est l’automne. J’ai fait un feu. Lu pendant une heure. Dans les dix-huit mille mots. Des trucs sur twitter. L’histoire d’un type qui se fait entarter. L’histoire d’un type qui se fait piquer sa chemise. L’histoire de la grotte de Blombos. C’est pour mes recherches. Cent neuf mots. La pluie est plus fine que tout à l’heure. Elle glisse gentiment sur les feuilles du sureau. Je raye “des trucs sur twitter”. (Si j’efface je perds quatre mots). On se demande si ce n’est pas dans la grotte de Blombos il y a soixante dix-sept mille ans qu’homo sapiens aurait commencé à écrire. Et non pas à Sumer en 3400 avant J.C. On se demande si la théorie selon laquelle homo sapiens aurait inventé l’écriture pour tenir la comptabilité des cités sumeriennes n’est pas totalement erronée. Deux cent sept mots. Et toc. Parce que dans la grotte de Blombos on a trouvé des morceaux d’ocre incisé faisant penser à une écriture. Et qu’on les a trouvés en même temps qu’on a trouvé un collier de coquillages. La plus vieille parure du monde. En même temps que la plus vieille écriture du monde. Donc. Rien à voir avec la comptabilité. Quoique. On a compté ce que mangeait l’homo sapiens de Blombos. Un millier de poissons — des espèces de grande taille — des tortues, des coquillages marins, des élans, des otaries, et des dauphins. Trois cent cinq mots. Merci bien.
Filmer #6
Georges Simenon, auteur de cent cinquante-huit nouvelles et de trois cent soixante-neuf romans (dont cent soixante-seize sous pseudonyme) écrivait onze heures par jour à la vitesse moyenne de soixante-quinze mots à la minute. En 2006 l’américaine Barbara Blackburn établit le record du monde de vitesse d’écriture avec des pointes à deux cent douze mots à la minute. Sachant qu’un lecteur ordinaire lit trois cents mots à la minute, nous pouvons donc affirmer que jamais l’auteur ne rattrapera le lecteur. L’auteur sera toujours en retard. Personnellement j’écris à la vitesse moyenne de soixante mots à l’heure. Et encore. Sans compter les recherches. Tandis que vingt-quatre images multiplié par soixante secondes égale mille quatre cent quarante — 1440 — images à la minute. Je préférerais filmer.
On ne voit pas clairement pourquoi ce cheval bleu est si mélancolique, mais il est très mélancolique, sans aucun doute. (Norge)
Filmer #5
COUPEZ.
Je préférerais ne pas écrire parce que, quand j’écris j’écris toujours la même chose. Et puis quand on écrit il faut toujours se justifier. Si vous écrivez un essai vous devez écrire essai. Si vous écrivez un récit vous devez écrire récit. Si vous écrivez de la poésie vous devez écrire poésie. Tandis que si vous filmez.
Filmer #4
UN VENT FOU SOUFFLAIT SUR LE MONDE
(film)
Elle descend du train express régional une petite valise à la main, sur le quai s’arrête un instant personne ne l’attend, se dirige vers l’avenue qui monte en centre-ville, passe devant le marchand de journaux sans regarder les journaux, passe devant la statue d’un cheval bleu sans regarder le cheval bleu, passe devant la terrasse d’un café sans regarder les hommes la regarder, elle n’est pas d’ici et eux ils restent là, accablés, assis,
Filmer #3
Un théâtre qui s’enfonce dans une cuvette ça s’appelle un cirque. Comment voulez-vous filmer un cirque. En 2008 à Saint-Etienne j’ai pris un crédit pour un ordinateur, pas pour acheter une caméra. Voir ça veut dire je vois. Regarder, je regarde un regard. Cirque ça veut dire tourner. A Saint-Etienne, poser la caméra à la gare de Châteaucreux face à la statue d’un cheval bleu.
Filmer #2
Ecrire ? Je préférerais filmer. Poser la caméra là là et là. Danser la bourrée à Yaoundé.
Filmer #1
Je ne sais pas pourquoi j’écris parce que, je préférais filmer. Poser une caméra en face de moi. On verrait mon ordinateur, acheté en 2008 à Saint-Etienne. À Saint-Etienne les appartements sont hauts de plafond, donc froids. Hauts de plafond à cause des métiers à tisser. La passementerie les rubans de soie, avec une caméra pas la peine d’expliquer. Je ne sais pas pourquoi j’écris sur Saint-Etienne parce que, je préférerais filmer. Saint-Etienne est une ville qui s’enfonce dans une cuvette. Cuvette percée par des galeries, en petit train vous pouvez visiter. Une ville qui s’enfonce dans une cuvette ça s’appelle un théâtre. Comment voulez-vous filmer un théâtre. Video ça veut dire je vois. Théâtre, lieu où l’on regarde. Cinéma ça veut dire bouger.
Laurent Deheppe, une recette
Webassociation des auteurs / Dissémination septembre 2015
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Pour faire un bon civet de lièvre, il vous faudra un lièvre de deux kilos pas moins. Si vous n’en avez pas, remplacez-le par un lapin mais c’est moins bon. La veille, vous aurez préparé une marinade avec un demi-litre de vin rouge, une gousse d’ail, deux échalotes, une cuiller à soupe de cognac et trois cuillers d’huile d’olive. Vous aurez fait sauter les yeux avec la pointe d’un couteau, découpé la bestiole en morceaux, puis mis à mariner pendant douze heures au frais. Le lendemain dans une cocotte, vous faites revenir du lard avec un oignon émincé. Là, ça commence à sentir bon dans la cuisine. Ouvrez grande la fenêtre, ainsi le voisinage aura de quoi philosopher – on pourra aussi se permettre un verre du vin de la recette. Vous faites revenir le lièvre égoutté jusqu’à ce que les morceaux soient bien roussis. Ensuite vous montez un roux brun en le mouillant avec la marinade. Vous l’incorporez au lièvre, vous salez, poivrez, bouquet garni, et vous faites mijoter pendant une heure et demi. Vous aurez invité quelques amis. Acheté un bon petit côtes-du-Rhône. Vous aurez lu le résumé du nouveau prix Goncourt afin de faire bonne figure à table. Tout sera bien en place. Le civet sera délicieux. La conversation animée. Quelqu’un sera d’avis qu’il faut sortir du nucléaire. Quelqu’un sera d’avis contraire. Le petit chat s’appellera Beckett, on l’aura trouvé derrière les poubelles…
Vouloir faire un civet prouve déjà que l’on aspire à de vraies valeurs; à commencer par une alimentation qui fait plaisir. Hé! gros malin, et où trouve t-on du lièvre aujourd’hui? Le monde n’est plus ce qu’il était. Giono le mijotait avec quelques olives et le servait sur un gratin de courgettes à l’aïl… Éro lou règne, aqui, di farandoulo. Ne cherche pas, c’est du provençal. Un vers de Frédéric Mistral. Alors, ce civet, on le mange? Okay cow-boy, ouvre donc la boutanche.
Bon appétit. Vive l’amitié.
∼
J’ai rencontré Laurent Deheppe à l’époque où je faisais du stop sur le web, en quête de poésie. Or, la poésie se cache la poésie se terre et personne, véhicules blindés limousines teintées, ne s’arrêtait.
Et puis soudain, une 2CV à toit ouvert ! Radio gauloise cassette sans filtre, d’un festival de calembours en Normandie, concert de blues exposition de collages, Laurent Deheppe rentrait chez lui à Mille lieux, dans les Alpes.
Merci à Laurent Deheppe pour son bon accueil !
Images : Somerset, 2014
Are you ready for apocalypse ?
Silver John
apocalypse en boucle
guitares et hautbois
bande son de l’automne
we are not ready
double
ne s’arrête pas