Il convient maintenant de rendre à l’esclave la signification décisive qui lui revient dans le processus anthropogénétique. L’esclave est, d’une part, un animal humain (ou un homme-animal), et de l’autre, dans la même mesure, un instrument vivant (ou un homme-instrument). L’esclave constitue donc, dans l’histoire de l’anthropogenèse, un double seuil : par lui la vie animale passe dans l’humain, de même que le vivant (l’homme) passe dans l’inorganique (dans l’instrument) et vice-versa. L’invention de l’esclavage comme institution juridique a permis la capture du vivant et de l’usage du corps dans les systèmes productifs, en bloquant temporairement le développement de l’instrument technologique ; son abolition dans la modernité a libéré la possibilité de la technique, c’est-à-dire de l’instrument vivant. Dans le même temps, dans la mesure ou son rapport avec la nature n’est plus médiatisé par un autre homme, mais par un dispositif, l’homme s’est éloigné de l’animal et de l’organique pour s’approcher de l’instrument et de l’inorganique jusqu’à presque s’identifier avec lui (l’homme-machine). Aussi – comme il avait perdu, avec l’usage des corps, la relation immédiate à sa propre animalité – l’homme moderne n’a-t-il pu s’approprier véritablement l’émancipation par rapport au travail que la machine aurait dû lui procurer. Et si l’hypothèse d’un lien constitutif entre esclavage et technique est correcte, il n’est pas étonnant que l’hypertrophie des dispositifs technologiques ait fini par produire une forme d’esclavage nouvelle et sans exemple.

Giorgio Agamben, L’Usage des corps, Homo Sacer , 2, Seuil, 2015, p. 124, 125

Image : Ile Saint-Pierre, Suisse

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